Bienveillance, bienveillance…
N’avez-vous pas parfois l’impression de n’entendre plus que ce mot??? On nous demande d’être bienveillants avec nos enfants… comme si, quand je me levais le matin, je me disais « AAAh, chouette, aujourd’hui, je vais casser du gosse!!! »
Non mais franchement, cette histoire de bienveillance, ça vient d’où? Pourquoi on en parle tant? Comment l’utiliser?
Mais de quoi parle-t-on, au juste?
La bienveillance n’est pas uniquement le fait de « vouloir le meilleur » pour nos enfants (ou ceux que l’on encadre). Voir les choses de cette façon signifierait que l’on met l’accent sur un résultat. Or, la bienveillance se traduit par des moyens plutôt que par des buts à atteindre. Bien entendu, le « bien » de l’enfant est recherché, mais nous savons tous que les méthodes qui se cachent derrière ces mots « c’est pour ton bien » ne sont pas toujours en adéquation avec les besoins de l’enfant ou le rythme de l’enfant.
La bienveillance se traduit par des moyens plutôt que par des buts à atteindre.
Car voilà… les mots sont lancés! Utiliser la bienveillance dans l’éducation, c’est pouvoir répondre aux différents besoins de l’enfant tout en respectant son rythme de développement.
Dans son livre « Vivre heureux avec son enfant », Catherine Gueguen définit la bienveillance comme le fait de « porter sur autrui un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant qu’il se sente bien et en y veillant » [1]. Cette vision des choses insiste sur la volonté que l’enfant se sente bien; ce n’est pas uniquement la représentation de ce que nous pensons bien pour lui.
Par exemple, lorsqu’un enfant ne veut pas terminer son repas, le parent peut imaginer qu’il n’a pas assez mangé et le forcer « pour son bien » (c’est-à-dire pour que le parent soit lui-même rassuré sur le fait que l’enfant ait pris assez de forces pour continuer sa journée, ou pour se développer). Mais forcer l’enfant à manger ne viendrait satisfaire que l’anxiété du parent et ne prendrait pas en compte la réalité de l’enfant. Avons-nous toujours « faim » au point de terminer nos assiettes, nous, adultes?
Faut-il dès lors laisser l’enfant décider TOUT par lui-même? Bien sûr que non!
Être adulte, c’est aussi être garant d’un cadre nécessaire à l’enfant pour lui grandir sainement et en société. Mais soyons honnêtes…avons-nous besoin de toujours TOUT contrôler?
Pas facile de savoir où mettre la limite entre « laisser le petit s’exprimer » et lui inculquer les règles du « vivre ensemble ». La plupart du temps, nous avons une vision un peu « philosophique » de ce que peut représenter la bienveillance. « Accepter l’autre tel qu’il est », « laisser de la place aux émotions », « accueillir les sentiments de l’autre », « ne pas s’oublier soi-même »… et tout cela est très vrai! Mais concrètement, comment traduire tout cela au quotidien dans la mission éducative? Lorsqu’on est parent ou encadrant d’enfants, il n’est pas toujours facile de savoir à partir de quand dire « stop », à quel moment intervenir sans pour autant intruser l’enfant.
Les règles négociables et non négociables
Pour trouver des repères concrets, je vous offre ma vision du cadre.
Ce cadre nous donne les 4 piliers des règles non négociables pour évoluer en société:
- Je préserve ma sécurité et celle d’autrui (ou je n’ai pas le droit de mettre ma sécurité ou celle d’autrui en péril);
- Je respecte ma personne et celle d’autrui (ou je n’ai pas le droit de me manquer de respect ou de manquer de respect à autrui);
- Je respecte mon environnement naturel et matériel (ou je n’ai pas le droit de dégrader volontairement mon environnement ni le matériel à ma disposition)
- Ces règles sont valables pour TOUS (enfants ET adultes).
Ces règles sont non négociables, car elles garantissent la place de chacun dans notre société. Il est impossible de réellement se socialiser si ces règles sont remises en question!
L’enfant apprenant essentiellement par imitation, il est important que l’adulte ait les mêmes règles non négociables! Comment apprendre la politesse à un enfant si l’adulte parle grossièrement? Comment apprendre à l’enfant à respecter sa santé si l’adulte adopte des comportements dangereux?
Toutefois, il est important de comprendre que lorsque les piliers sont établis, A L’INTERIEUR du cadre, chacun a le droit de se développer selon SON PROPRE TEMPERAMENT : de façon plus silencieuse (comme notre ligne fuschia) ou de façon « rock’n’roll » (comme notre ligne verte).
En effet, à partir du moment où les règles de base (non négociables) ne sont pas transgressées, les autres comportements peuvent être sujets à consensus. Ces règles-là sont les règles négociables.
Par exemple :
- un enfant de 4 ans a besoin de repos la nuit pour se développer et rester en bonne santé (non négociable) mais tous les enfants de 4 ans ne sont pas obligés d’aller dormir à la même heure (négociable).
- tous les enfants ont besoin de se nourrir dans la journée pour avoir de l’énergie et rester en santé (non négociable) mais tous les enfants ne sont pas obligés de manger le même nombre de tartines ou de consommer la même nourriture (négociable).
C’est important, pour ne pas mettre « tous les enfants dans le même panier », de les laisser se développer selon leur tempérament et leur personnalité, tant que nous restons à l’intérieur de ce cadre. Certains seront de petits fonceurs, d’autres seront hyper prudents avant de se lancer dans une nouvelle aventure. Respecter cela, c’est aussi une façon de dire à l’enfant « tu es toi, et je te respecte dans tes choix ».
N’oublions pas que c’est le propre de l’être humain de se construire une identité! Faire des choix et pouvoir les assumer, c’est aussi un apprentissage! Comment apprendre cela si l’adulte impose tout, toutle temps?
Accepteriez-vous, vous, qu’on vous force à manger ce que vous n’aimez pas ou que l’on vous oblige à dormir lorsque vous n’êtes pas fatigué.e? Si nous voulons apprendre à nous connaître, à savoir de quoi nous avons BESOIN pour nous sentir bien, il est important que les adultes ne plaquent pas tous leurs désirs (ou leurs angoisses!) sur les enfants en les obligeant à faire des choses qui ne servent en réalité que les besoins des adultes (notamment le besoin d’être rassuré).
La bienveillance, c'est une démarche!
Croire que la bienveillance coule de source quand on aime les enfants est malheureusement une erreur. En effet, lorsque nous sommes parents ou encadrants d’enfants (au sens large), nous voulons le meilleur pour eux. Mais parfois, il faut bien admettre que ce meilleur, nous le voulons tellement que nous sommes prêt.e.s à le faire entrer par les narines, s’il le faut!!!
Or, la bienveillance, c’est cette façon « d’être à l’autre » qui lui permettra de se sentir plus serein, plus confiant. C’est un outil, plus qu’un état. Car, en effet, on n’est pas bienveillant, on se rend bienveillant dans telle ou telle situation. Ce n’est pas une caractéristique d’une personne acquise une fois pour toutes, c’est une habileté à exercer et à utiliser dans l’échange (ou envers soi-même).
J’aime à dire que la bienveillance est cette aptitude à interagir avec l’autre de façon à « remplir son réservoir de confiance », comme le nomme si joliment Isabelle Filliozat[2].
Quand un adulte "remplit le réservoir de confiance d'un enfant", il lui donne le carburant nécessaire pour démarrer.
L'importance du regard bienveillant
Or, ce qui nous permettra de devenir des adultes solides, c’est notamment ce regard sécurisant qu’un adulte posera sur nos premières expériences d’enfant (la plupart du temps les parents, mais aussi les éducateurs au sens large) . Un regard qui ne juge pas, mais qui accueille, un regard qui donne droit à l’erreur, un regard tantôt tendre qui rassure, tantôt tonique qui énergise.
Il faut comprendre que l’enfant explore volontiers le monde qui l’entoure s’il se sent en sécurité. Si l’adulte ne remplit pas cette fonction de sécurisation, tant physique que psychique, l’enfant se prive de nombreuses stimulations nécessaires à son développement.
John BOWLBY, dans sa théorie de l’attachement [3], a mis en lumière ce processus paradoxal mais tellement puissant : « Pour pouvoir se détacher, il faut d’abord être bien attaché » ou pour le dire autrement : « pour pouvoir prendre de la distance par rapport à ma base de sécurité et explorer le monde qui m’entoure, je dois d’abord me sentir rempli.e de cette sécurité apportée par cette personne qui me souhaite du bien ».
Voilà pourquoi on encourage les jeunes mamans (et les papas) à vivre la proximité sans culpabilité avec leur petit. Voilà pourquoi un bébé « pris à bras » ne sera pas un « capricieux ». D’abord s’attacher… ensuite prendre petit à petit son envol.
Quand un adulte « remplit le réservoir de confiance » d’un enfant, il lui donne ce carburant nécessaire pour pouvoir démarrer.
La bienveillance, ce n'est pas du laxisme, ni de la mièvrerie!
Il est ICI le nerf de la guerre!!! Beaucoup trop d’adultes confondent bienveillance et laxisme (« il faut le laisser faire ») ou encore la confondent avec la mièvrerie !
La bienveillance ne consiste pas en l’absence de limites. Les limites sont nécessaires pour sécuriser l’enfant en lui donnant les repères de ce qu’il peut se permettre ou pas. Sans repères, pas d’anticipation. Sans anticipation, difficile de se sentir à l’aise. La bienveillance ne revient pas non plus à « ne jamais lever la voix » ou à « tout expliquer » à rallonge à l’enfant. Peut-on élever la voix et être bienveillant? Tout à fait! Tout dépend de l’intention!
Par exemple, si vous arrivez tout près du petit Joël, 6 ans et que vous lui dites de façon douce et mielleuse « Oh, Joël, ce n’était pas une bonne idée d’enfoncer ton compas dans le bras de ton voisin! »; je n’appelle pas cela de la bienveillance! J’appelle ça de l’inconsistance! Pour comprendre le message, l’enfant a besoin que le non verbal soit en adéquation au message verbal. Dans le cas contraire, on lui envoie un message paradoxal que l’enfant n’arrive plus à décoder de façon logique.
Lorsqu’un danger surgit, il est normal (nécessaire!) de réagir plus fermement. Cela permettra à l’enfant de comprendre sans équivoque le sens du message. Mais attention! Fermement ne veut pas dire méchamment!
Vous allez hausser la voix en disant : « Héééé! POSE TOUT DE SUITE CE COMPAS SUR TA TABLE! Les compas servent à tracer des formes et pas à piquer son voisin! Tu lui fais mal quand tu fais cela! » Lorsque vous dites cela, ça ne peut pas être sur un ton doucereux, cela doit être ferme! Mais je ne dis pas non plus « Mais tu es cinglé! Il te manque un grain ou quoi?? Tu es vraiment méchant, tu sais! »
Comprenez-vous la différence entre CE QUE JE DIS et LA FAçON dont je le dis?
Maintenir les 4 piliers du cadre (les règles non négociables) est ESSENTIEL, mais la FAçON de le faire doit :
- prendre en compte le niveau de développement de l’enfant. Tout apprentissage prend du temps pour être intégré. Se contenter de donner une ou deux fois une consigne ne suffit pas pour que l’enfant comprenne ce que l’on attend de lui (et c’est d’autant plus vrai qu’il est petit).
- montrer une cohérence entre le message verbal (ce que je dis) et non verbal (l’intonation, la puissance de la voix, les mimiques, etc…);
- permettre à l’enfant de prendre conscience des conséquences de son acte (le responsabiliser) sans pour autant l’humilier ou lui coller une étiquette (« tu es méchant », « tu es infernal », « c’est toujours toi », etc…). Remplaçons ces étiquettes par la verbalisation des conséquences, afin que l’enfant en prenne conscience.
Par exemple: aidons les enfants à comprendre le ressenti de l’autre lors d’un comportement inadapté.
« Ca lui a fait de la peine que tu te moques de son erreur! Était-ce cela que tu cherchais? Comment pourrais-tu rectifier cela? »…plutôt que la formule « ce n’est pas bien de se moquer des autres! » qui n’amène aucune prise de conscience de la conséquence des comportements indélicats.
C’est en comprenant ce que signifie la bienveillance et en l’appliquant de façon juste que les enfants pourront trouver les repères de ce qui est acceptable ou pas en société.
Il est donc capital de comprendre que le but de l’éducation n’est pas que « les enfants obéissent », mais bien qu’ils deviennent responsables! Obéir implique que l’on a besoin d’un ordre : l’injonction vient de « l’autre ». Bien entendu, on guide les enfants lorsqu’ils sont petits, pour leur apprendre ce qui se fait ou pas en société. Mais au fur et à mesure, il est important qu’ils puissent prendre conscience par eux-mêmes de leurs besoins et des conséquences de leurs actes afin de pouvoir devenir les maîtres de leurs comportements.
Comme tout apprentissage, l’apprentissage des règles en société prend du temps et repose sur des expériences tantôt heureuses, tantôt malheureuses. Donnons du temps à nos enfants; laissons-leur le droit à l’erreur. Mais décodons avec eux ce que leurs comportements impliquent. En faisant cela, nous développons leur empathie.
Donnons du temps à nos enfants; laissons-leur le droit à l'erreur. Mais décodons avec eux ce que leurs comportements impliquent. En faisant cela, nous développons leur empathie.
Et la bienveillance envers moi?
Et moi, là-dedans?
Je souhaite le bien des autres, des enfants, de mon entourage? Mais moi?
Est-ce que je m’écoute? Est-ce que je sais de quoi mon corps a besoin pour rester en forme? Est-ce que je lui accorde ce dont il a besoin pour rester en forme?
Est-ce que je suis à l’écoute de mes émotions? Ou bien je me force à les réprimer pour « être fort.e », pour « avancer »?
Est-ce que je m’octroie, parfois, le temps dont j’ai besoin pour faire le point? Ou est-ce que je cours comme une poule sans tête pour faire tout ce qu’il y a à faire? Est-ce que je m’accorde le temps d’être?
Est-ce que j’ai appris à accueillir mes propres émotions, avant d’accueillir celles des autres? Est-ce que je peux en faire quelque chose de constructif plutôt que de me laisser aller passivement?
Nous ne pourrons construire un « nous » à l’écoute des autres qu’ à la seule condition de commencer par la construction d’un « moi » qui se respecte lui-même.
Quel exemple montrons-nous à nos enfants? Plutôt « il faut… », ou plutôt « j’ai besoin de… »?
La bienveillance commence par la connaissance de soi pour pouvoir ensuite rayonner vers l’autre. Apprendre cela à nos enfants est un cadeau précieux pour la vie.
En conlusion
La bienveillance, c’est une façon d’être qui implique la prise en compte du bien-être tant de soi que de l’autre.
La bienveillance n’est pas la mièvrerie. Dans un système éducatif, elle ne peut être efficace que dans un cadre où des limites claires permettent d’intégrer les règles du « vivre ensemble » (les 4 piliers des règles non négociables). Dans ce contexte, la bienveillance renforce les limites, elle ne les affaiblit pas. Elle permet aux enfants de les intégrer plutôt que de lutter contre, par rejet de la soumission.
La bienveillance est primordiale dans la mesure où elle contribue à la sécurité de base dont l’enfant a besoin pour pouvoir s’autonomiser. Rappelons-nous que pour pouvoir prendre de la distance, s’autonomiser et explorer le monde qui l’entoure, l’enfant a d’abord besoin de se sentir sécurisé. La bienveillance n’est donc pas un luxe, mais une nécessité.
La bienveillance prend en compte les besoins de l’ « autre » mais ne néglige pas nos propres besoins. Soyons donc bienveillant.e aussi (d’abord?) avec nous-même!
Valérie Duchêne
Bibliographie
[1]GUEGUEN, C., Vivre heureux avec son enfant. Un nouveau regard sur l’éducation au quotidien grâce aux neurosciences affectives. Pocket Evolution, 2017.
[2]FILLIOZAT, I., J’ai tout essayé! Opposition, pleurs et crises de rage : traverser sans dommage la période de 1 à 5 ans. JCLattès, 2011.
[3]BOWLBY, J., Le lien, la psychanalyse et l’art d’être parents (Trad., A secure base, 1988),Albin Michel, 2011