femme points d'interrogation

« Qui suis-je? »
Se développer entre socialisation et autonomie

Souvent, lorsque quelqu’un nous demande qui nous sommes, nous avons tendance à répondre en nous situant par rapport à notre identité sociale, professionnelle, familiale…Je suis Untel, j’ai 35 ans, je suis maman de deux enfants, je suis père célibataire, je suis pharmacienne, je suis juriste, ou chauffagiste, je suis au chômage, je suis divorcée…

Eventuellement, nous donnons quelques indications sur nos hobbies, nos passions. J’aime le jardinage, je suis un grand voyageur, je me passionne pour l’informatique, ou la mode, j’aime le bon vin et la nourriture thaïlandaise…

Mais « QUI SUIS-JE ?», vous êtes-vous déjà posé la question ?

Que vous répondriez-vous à vous-même dans le calme de votre intimité ? Serait-ce si facile de répondre ? Pensez-vous vous connaitre réellement ? Connaissez-vous ce qui vous fait vibrer, ce qui vous fait vous lever en forme le matin (ou pas);  quelles sont les limites de ce que vous acceptez ou pas ? Ou pensez-vous surtout connaitre votre quotidien, plutôt que vous-même ? N’avez-vous pas tendance à vous définir par ce que vous faites plutôt que par ce que vous êtes ?

Dans notre vie de tous les jours, nous avons souvent tendance à nous définir par ce que nous FAISONS, occultant (le plus souvent involontairement) ce que nous SOMMES. Et pour cause !

Qui nous a appris à aller à la découverte de nous-même ? Qui nous a aidé à analyser ce qui nous convient (ou pas), ce qui nous plaît (ou nous déplaît), de quoi nous avons réellement besoin, ou encore ce qui nous fait envie ?

Pour beaucoup d’entre nous, le système d’éducation s’est surtout attelé à nous apprendre ce qui est « bien » ou ce qui ne l’est pas au regard de la société ; ce que la société attend de nous. Ce système nous a permis d’intégrer des « codes » pour devenir une personne socialisée, répondant aux normes et aux valeurs de celle-ci.

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"Pour beaucoup d’entre nous, le système d’éducation s’est surtout attelé à nous apprendre ce qui est « bien » ou ce qui ne l’est pas au regard de la société  ; ce que la société attend de nous."

Socialisation et autonomie

Je cite le sociologue Philippe RIUTORT, sociologue, [1] : « la socialisation peut se définir comme le processus par lequel les individus intériorisent les normes, les valeurs de la société dans laquelle ils évoluent ».

Et nous, adultes, avons, pour la plupart, effectivement en tête que l’éducation que nous avons reçue, ou celle que nous dispensons à nos enfants, a pour mission de pouvoir intégrer ce que la société attend de nous. Un peu comme si nous devions comprendre dans quoi on met les pieds avant de chercher à tracer son chemin. Certains interprètent cette définition de la socialisation par « il faut apprendre à s’adapter à la société ». Toutefois, s’il est vrai que nous devons tenir compte des autres pour vivre en société, les autres doivent eux-mêmes tenir compte de nous !

Se socialiser, c’est finalement apprendre à faire sa place dans la société. Faut-il encore donc d’abord « apprendre à faire sa place » tout court! En effet, le processus de socialisation implique deux phases, deux mouvements :

  • Apprendre à se connaitre soi-même (pour faire SA place);
  • S’intégrer au groupe en tenant compte des besoins des autres (faire sa place PARMI LES AUTRES).

Et si l’adulte, dans son rôle éducatif auprès des enfants, met très souvent l’accent sur le deuxième mouvement (apprendre à s’intégrer au groupe) en apprenant les règles, le partage, la politesse, etc… il n’est pas rare qu’il occulte un peu plus le premier : leur apprendre à se connaitre eux-mêmes. En effet, souvent pour calmer nos angoisses d’adultes par rapport aux besoins des jeunes enfants, n’avons-nous pas tendance à les « encourager » (pour ne pas dire forcer) à manger encore un peu avant de quitter la table, à faire une sieste systématique (si, si tu es fatigué !), à mettre leur pull quand NOUS avons froid, etc ?

Pas toujours évident d’être à l’écoute des ressentis des enfants et de leur faire confiance. La responsabilité est grande pour le parent d’un tout jeune enfant de répondre aux besoins en devant les anticiper, les deviner, les décoder. Plus l’enfant grandit, plus l’adulte est censé lui faire confiance, à cet enfant, mais… difficile de lâcher du lest !

Et pour l’enfant, comment apprendre à se connaitre lui-même si c’est systématiquement l’adulte qui définit quand il doit arrêter de manger, quand il doit dormir, quand il doit jouer, quand il doit se concentrer… La relation, dans l’éducation, est quelque chose d’essentiel. Chacun doit y trouver sa place. Cette place passe par le processus d’autonomisation, c’est-à-dire l’apprentissage de l’autonomie.  Et l’autonomie, c’est apprendre à identifier ses besoins et faire en sorte de les satisfaire en tenant compte de son environnement.

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"Se socialiser, c’est finalement apprendre à faire sa place dans la société. Faut-il encore donc d’abord « apprendre à faire sa place » tout court!"

Aller à la rencontre de soi-même.

Nous avons donc besoin de NOUS connaitre pour évoluer parmi les autres, car cela nous aidera, par la suite, à entrer en relation avec eux de façon plus harmonieuse. Par exemple, si la musique me passionne, je serai plus enclin à échanger avec d’autres personnes qui partagent ma passion. Si je rencontre des gens qui n’aiment pas du tout la musique, je me préparerai à ne pas recevoir de réel retour sur le sujet. Je pourrai ainsi m’adapter, soit en acceptant de mettre mon sujet favori sur « pause » et d’en aborder un autre, soit en changeant d’audience et en allant à la rencontre de personnes qui aiment la musique.

En m’adaptant de cette façon, je travaille à harmoniser les relations, c’est-à-dire à faire en sorte que, lorsque je suis en société, mes échanges se passent de façon socialement acceptable (ou pour le dire autrement : « on ne se crêpe pas le chignon ! »). Dès lors, la socialisation passe aussi par l’apprentissage de compétences relationnelles, et ces compétences doivent permettre à chacun de sentir qu’il a sa place parmi les autres.

Trop souvent, nous avons tendance à nous effacer pour l’autre, ou à l’inverse, dans un sentiment de révolte, à  nous imposer aux autres dans le but d’« enfin prendre sa place ». La socialisation passe par l’harmonisation des relations, le but étant que chacun puisse se sentir respecté dans son espace et respecter l’espace de l’autre.

Dans son « Petit cahier d’exercices de Communication NonViolente® »[2], Anne Van Stappen illustre la perception de notre rapport aux autres par une ellipse. Si notre rapport aux autres est un rapport ressenti comme « égalitaire », notre ellipse devrait s’illustrer comme ceci :

ellipse CNV

réf photo : [2]

Si nous laissons trop de place aux autres, cette ellipse devient tout à fait déséquilibrée, la partie de « l’autre » se gonflant démesurément. Cette situation laisse surgir des ressentis comme de l’effacement, une faible estime de soi (les autres valent mieux que moi). A l’inverse, si nous prenons trop de place par rapport aux autres, si nous nous imposons, la partie « soi » gonfle démesurément et nous étouffons l’autre qui n’a plus sa place dans la relation. Il n’y a plus d’échange.

Autonomie et socialisation sont des notions indissociables dans le développement de l’être humain. Même si cela semble paradoxal, il est impossible d’accéder à l’autonomie sans pouvoir compter sur « l’AUTRE » (ne fut-ce que les parents qui nourrissent et protègent leur bébé dès les premiers jours de vie, qui anticipent ses besoins primaires). Et il est impossible de se socialiser sans apprendre à se connaitre soi-même, la socialisation étant, comme nous venons de le voir, un équilibre entre nos propres besoins et ceux de l’entourage

Interroger nos valeurs pour clarifier nos habitudes éducatives.

Par ailleurs, si vous êtes parents, aller à la rencontre de soi permet de prendre un peu de recul sur nos attitudes éducatives. En effet, il n’existe pas d’école de parents. Quand on devient parent, on s’appuie donc sur ce que l’on a vécu, en intégrant ou en s’opposant à ce vécu.

Nous avons construit un système de valeurs et de croyances par les valeurs et croyances que nous avons intégrées via notre entourage (en premier lieu nos parents, pour la plupart), par nos expériences. Lorsque je parle de croyances, je ne parle pas nécessairement des croyances religieuses. Je parle ici du fait d’attribuer une valeur de vérité à une proposition ou un énoncé (comme « les filles ne jouent pas aux voitures », ou « les enfants n’aiment pas trop les légumes » par exemple. Ou encore « on n’entame pas de nouveau projet professionnel après 40 ans » ou, à l’inverse « il n’est jamais trop tard pour de nouveaux défis »).

Ces croyances génèrent en nous des attitudes qui se manifestent par des comportements.

Par exemple : Catherine vit avec cette croyance que les garçons ne jouent pas aux poupées. C’est ce qui lui a été dit toute son enfance (« Les poupées, ce sont des jeux pour les filles »). Lorsque Catherine voit que Théo, 4 ans, veut emprunter la poupée à Léa, 4 ans également, elle a tendance à développer une attitude d’opposition en réaction avec ce que Théo demande. Catherine va « rectifier le tir », selon sa croyance et reprendra la poupée de Théo, en justifiant que ce n’est de toute façon pas un jeu pour les garçons. Cette poupée doit rester chez Léa.

En agissant de la sorte, Catherine reporte sa propre croyance sur Théo et Léa. S’ils ne bénéficient pas d’expériences  allant dans un autre sens, les enfants intégreront sans doute cette croyance également.

Pourtant, plus jeune, Catherine aimait, quant à elle jouer aux petites voitures. Mais ayant intégré qu’il y a des jeux « pour les filles » et d’autres « pour les garçons », elle s’est résignée et a appris à jouer à autre chose.

Et aujourd’hui ? Si Catherine écoutait son enfant intérieur ? Pour les petites voitures, mais pour bien d’autres choses… Quelles sont les choses qui faisaient « pétiller » les yeux de Catherine ? Et pourquoi ? Comment se sentait-elle dans ces situations ? Comment se sentirait-elle aujourd’hui, si on lui avait permis de faire ce qui lui tenait à cœur ?

Il est difficile d’être au clair avec nos valeurs éducatives si nous ne prenons pas un peu de temps pour « regarder en soi ». Voir d’où on vient, quelles valeurs et croyances ont forgé notre personne. Ce travail d’introspection est d’autant plus délicat qu’il questionne notre relation à notre entourage, particulièrement à nos parents. Le but n’est pas de les juger en tant que « bons » ou « mauvais » parents, mais bien d’observer ce qu’ils nous ont transmis et de nous poser la question si ces transmissions ont réellement du sens pour nous.

"Il est difficile d’être au clair avec nos valeurs éducatives si nous ne prenons pas un peu de temps pour « regarder en soi ». Voir d’où on vient, quelles valeurs et croyances ont forgé notre personne."

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Entre faire et être.

Comme je vous la disais au début de cet article, nous avons souvent tendance à nous présenter en énumérant la série de choses que nous FAISONS dans notre journée. Notre métier, nos habitudes, nos routines, nos activités. Ces choses que nous avons intégrées comme étant « les bonnes ».

Rarement nous nous décrivons en parlant de ce qui nous tient à cœur, de ce qui nous touche, de ce qui nous dégoûte, de ce que nous supportons volontiers… ou pas ! Sans doute parce que nous sommes dans une société où se mettre à nu n’est accepté que sur la une des magazines de mode… et pas pour tout le monde ! Nous évoluons dans une société où il ne fait pas bon exprimer son ressenti, ses émotions, une société qui considère comme « faibles » les gens qui se donnent à connaitre, comme s’ils faisaient tomber leur bouclier ou leur armure, surtout si on pense « autrement » que la norme.

Et pourtant…

Quel est le rêve qui vous anime ? Quelle promesse la petite fille ou le petit garçon qui sommeille en vous s’était fait, il y a des années, que vous n’ayez pas (encore) réalisé ? Qu’est-ce qui donne du sens à votre vie, non pas parce que vous DEVEZ le faire, mais parce que cela met des paillettes, de l’énergie ou de l’espoir dans vos yeux lorsque vous évoquez cette situation ?

Y a-t-il des choses que vous rêviez de mener à bien et que vous avez laissées de côté, par « sagesse », parce qu’ « il y a plus urgent (ou plus sérieux) que cela à penser » ?
Y a-t-il des activités qui vous redonnent de l’énergie lorsque vous prenez du temps pour vous, mais que vous ne faites pas très souvent parce que… « pas le temps » ?

Que faites-vous pour garder cette petite flamme intérieure qui vous donne l’énergie de vous lever le matin ? Avez-vous encore cette petite flamme ?

La question est « qui êtes-vous ? »

Quelles sont les valeurs qui vous animent ? Pensez-vous être aligné(e) avec ces valeurs, ou avez-vous l’impression de vivre à côté, en spectateur ? Beaucoup de personnes ne se rendent même pas vraiment compte du fait qu’elles ne s’autorisent pas à être elles-mêmes.

C’est la pression du quotidien, qui fait que l’on reporte à demain nos questions, nos envies.

C’est s’occuper de sa famille, de ses enfants qui prend la priorité et qui fait que l’on s’oublie parfois « pour la bonne cause ».

C’est cette envie de faire « bien » tout ce qu’il y a à faire et de ne pas s’octroyer vraiment de temps de pause, de repos physique mais surtout de repos « mental ».

Et si nous prenions un peu de temps pour nous connaitre vraiment ? D’accord, mais comment ?

Pas de grande thérapie proposée ici, rassurez-vous.

Simplement, commencer par se poser la question… Non… d’abord, commencer par se poser tout court.

Si nous prenions un petit temps (ça peut être juste quelques minutes pour commencer) pour se poser. Je ne vous parle pas de ces moments où on ne « fait rien » en étant occupé, comme lorsque nous sommes connectés aux réseaux sociaux par exemple. Je vous parle d’un vrai temps de déconnexion et de reconnexion à soi-même. Pourquoi ne pas se prendre le temps d’un petit café ou d’un thé et de s’asseoir en savourant ce petit moment ? S’asseoir donc, et ensuite se demander « comment je me sens et de quoi ai-je envie, là, tout de suite ? ».

Si nous prenions déjà l’habitude de nous octroyer quelques minutes de reconnexion à nous-même, ce serait déjà un beau pas de franchi vers la connaissance de soi.

Bien entendu, cela ne s’arrêtera pas là ! Dans un prochain article, je développerai d’autres pistes et je vous parlerai de ma théorie de « l’interrupteur versus variateur ». Je vous parlerai également de la « théorie des petits pas ».

Vous êtes curieux ? A très vite, donc! 🙂

Valérie Duchêne

[1] RIUTORT, Ph., Premières leçons de sociologie, 5ème édition, Belin éducation, 2018

[2] Van Stappen, A., Petit cahier d’exercices de Communication NonViolente®, éditions Jouvance, 2010

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